samedi 31 mars 2007

POST- IT

Ce matin ma mère m'a dit "Ooooh, tu sens le caoutchouc de tétine et le pain chaud".
C'est la raison pour laquelle, les prochains textes seront publiés le 8 avril.
Je pense que je mettrai du vernis rose pour l'occasion.

jeudi 8 mars 2007

GRACE KELLY - LES SUJETS:


Aujourd'hui, je suis passée devant une fenêtre où se trouvaient trois petits tas de livres. Il y avait une affiche: "Servez-vous, c'est gratuit".

Lego fait des choses vraiment bien. J'en ai testé pas mal. J'ai adoré le bateau pirate. Dans l'histoire qu'on m'a demandé de raconter, j'avais tout mis: un pirate blasé par les massacres, des chevaux qui nagent, une base américaine sous la mer, des poissons mutants (c'était pas loin de la ville de Golfech)... Le petit garçon avec qui je jouais m'a repproché de ne pas avoir parlé de princesse. "Les filles, ça met toujours une princesse quelque part".
Je sais pourquoi je n'ai pas mis de princesse dans mon histoire. La proportion des princesses-au-destin-tragique dans la population princière est énorme. Le titre de "princesse" est un facteur de risque, comme avoir un bébé après 40 ans.
La princesse de Clèves finit bigote et rongée alors qu'elle aurait pu pimper le type le plus sexy de la cour, Princess Coo-Coo (amoureuse d'un éboueur nudiste) meurt de la rage après avoir testé la nécrophilie, le "marricide" et l'anthropophagie. Quant à la Princesse Diana, elle se crash dans les bras d'un homme vraiment très antiphatique.

Anne Rice érotise un maximun les princesses de notre enfance tandis que Bruno Bettelheim (Psychanalyse des contes de fée) les ramène au degrès 0 du "Viens bébé, on va faire du sex anal". Enfin, un type comme Guy Breton - le champion des livres qu'on offre comme objets promotionnels dans les colis de vente par correspondance (dans les 80's) - a certainement dû publier un truc du genre: "Les princesses et leurs problèmes gastriques".
On parle donc souvent de princesses, pas seulement dans Voici et dans Public, et pas seuleument les auteurs un peu sérieux... DARING veut en parler aussi.
"Rêvasser, sucer mon pouce, oublie
Plonger dans un bain de mousse
Détachée et sans secousse, fini
J'aime me la couler douce, ouh"
A propos, qu'est devenue Princesse Erika?

Si on inventait des journées de telle ou telle princesse-au-destin-tragique et que ces journées étaient des jours fériés, ce serait une avancée sociale plus importante qu'en 1936.
La journée de la violence (qui serait un jour férié) serait un mix plutôt pas mal de la journée de la femme et de A Clockwork Orange.


Et toujours, le choix entre deux sujets:

1) "Splendeurs et misères (et/ou vie quotidienne) d'une princesse (classique ou moderne)."

2) "Welcome to violence: la journée de la violence (subie, infligée, observée par le personnage)."

NOTA BENE:

J'ai reçu quelques textes après la publication du corpus le 3 Mars. A propos de ça, non, cela ne me dérange pas de recevoir les textes "en retard", je les publie quand même. Les dates butoires, ça m'a toujours fait chier.
Ceci dit, je préviendrai désormais quelques jours avant les publications, le but étant de poster les textes en même temps pour que tout ceci soit cohérent et pour que celui qui écrit ne soit pas parasité par une quelconque influence.

samedi 3 mars 2007

ANNA THOMSON - 01 LES TEXTES:

Donc! Daring publie ses premiers textes. Emotion.
Très bientôt, les prochains sujets.
Merci aux tout premiers participants.




1) "Mon ami imaginaire est dépressif: ou comment un petit garçon règle (ou pas) les problèmes de son ami imaginaire et les siens par la même occasion."


01
FRANCOIS

Mon ami Jonathan perce les parenthèses.

J'ai un putain de trou derrière l'oreille, la mince pellicule de peau qui le recouvre, là, n'existe pas pour moi, du moins je ne la pense pas assez ferme pour empecher un doigt, même ami, de la percer pour mieux épier l'intérieur de ma tête, et par le même crever. C'est une phobie comme une autre ou plutôt un complexe, la peur de se faire toucher l'oreille. Oui ça fait un peu retardé, avec la langue qui sort. Mon pote Jonathan, en plus d'avoir un nom de l'angoisse, est trisomique, enfin je crois, il a la langue qui goute l'air continuellement pour de vrai lui. Mais Jonathan ne me parle pas trop, malheureusement. Je ne parle pas beaucoup non plus. Je respire lentement aussi.


02
ANONYME

Sullivan


Mon ami imaginaire est depressif. Ces derniers jours, il n'a plus goût au jeu et est peu bavard. J'ai décidé de prendre les choses en main. Je me suis inscrit sur un forum des amis de l'ami imaginaire. Lorsque maman m'a accompagné faire les boutiques, j'ai pris des flyers à Imaginarium: "Cercle des enfants qui ont un ami imaginaire (animal, humain, divin)", "Meeting semestriel de la gestion de l'ami imaginaire" et "Les amis imaginaires anonymes". J'ai aussi acheté un best seller américain: "Votre enfant et son ami imaginaire: le Prozac n'est pas la solution". Puis j'ai vu que la petite fille d'une psychiatre de renom de la ville organisait des thérapies de groupe pour les névroses des amis imaginaires dans sa chambre. Elle m'a dit que les pédo-psychiatres étaient des escrocs pédophiles et j'ai donc repoussé l'idée de consulter un psychologue.
Mon ami imaginaire s'appelle Sullivan, il est plutôt caractériel. Je ne sais pas ce qu'il a, je ne sais pas pourquoi, tout d'un coup il ne va plus bien. J'en ai parlé à ma baby-sitter qui fait un CAP Comptabilité, je me suis dit qu'elle pouvait nous aider à passer le cap mais elle m'a juste conseillé de me faire des amis. Je ne le dis pas à maman, j'ai peur qu'elle emmène Sullivan chez un pédophile ou qu'elle me file du Prozac.
Il me dit que je le harcèle, que je prends trop de place dans sa tête, que j'lui pollue son oxygène. Je ne comprends pas comment j'arrive à faire ça, comme si je m'asseyais sur son cerveau en quelque sorte. Mon frère dit souvent à ses amis "Laure, elle m'a mangé le cerveau, les gars", moi je ne mange pas le cerveau de Sullivan, ce serait dégoutant. Il vient, il part, il fait ce qu'il veut. Papa dirait: "c'est un esprit libre". J'aimerais bien être un esprit libre aussi.

Au cercle des enfants qui ont un ami imaginaire, je n'ai pas appris grand chose. Sullivan n'a d'ailleurs parlé à personne. Là-bas, il y avait des grands du collège habillés comme les japonais. Leurs amis, à eux, avaient l'air d'être plutôt en forme. Il y en avait de toute sorte. Nous avions des stickers avec notre prénom, notre âge, le prénom de notre ami imaginaire et sa description. Moi j'ai dit qu'il ressemblait à un petit garçon eurasien de 8 ans. Mais il y avait des monstres, des philosophes des lumières, des actrices. Aucun ne m'a semblé depressif en tout cas. En revanche, les enfants comme moi n'avaient pas l'air très clairs. Mais tous paraissaient plutôt en osmose avec leur ami imaginaire, pas d'histoire de "s'assoir sur les cerveaux" et de manger trop d'oxygène.
Je n'ai pas appris grand chose non plus du côté des amis imaginaires anonymes. Que l'alcool et l'obésité sont des problèmes de santé publique, je le savais déjà.
J'ai consulté un prêtre. Peut-être Dieu, l'ami imaginaire le plus populaire de la terre accepterait-il de nous aider, Sullivan et moi. Le prêtre m'a dit de prier, de reciter des je vous salue Marie et des notre Père. Je prie tous les soirs, ça ne semble pas marcher.

Je ne mange plus, je ne parle plus, j'ai décidé de me faire tout petit. Mon ami imaginaire est mon meilleur ami. Je ne veux pas qu'il aille mal, j'ai peur qu'il en meure et disparaisse pour toujours. Je ne me consacre plus qu'à lui seul, dans la cour de récréation, nous mangeons notre goûter tous les deux sous un peuplier. Dans la famille, nous avons le sens du devoir et du sacrifice. Mon grand-père a perdu trois frères à la guerre, ma mère souffre pour être belle et mon père se saigne aux quatre veines pour subvenir à nos besoins. J'ai peur qu'il n'ait bientôt plus de sang, que nous n'ayons plus d'argent et que ma mère décide de ne plus être belle. Sullivan va un peu mieux désormais.

Je suis allé voir la petite fille qui organise des thérapies collectives. Elle était jolie, trop grande mais jolie. Un peu trop bavarde et animée mais jolie, vraiment. On a fait tout un tas de trucs auxquels je ne crois plus, mais je me suis bien amusé. Sullivan est parti avant la fin de la séance. J'ai bien peur qu'il soit vexé, qu'il soit jaloux de ma relation avec cette fille parce que nous étions toujours tous les deux et qu'elle s'est assise sur lui. Il commence à m'agacer. Il prend trop de place dans ma vie, dans ma tête, il pollue mon oxygène et mes notes sont en baisse. C'est un peu comme si il s'asseyait sur mon cerveau, comme si il me suçait les méninges.


03
MADAME HOLLYWOOD

Mon ami imaginaire est dépressif

Tu parles plus, t’écoutes plus ce que je dis et tu veux même plus jouer avec moi.
J’ai toujours aimé t’avoir toujours près de moi mais là j’avoue que ta présence devient un poids, parce que te voir triste me rend triste et que j’ai pas l’énergie pour te remonter le moral.
Depuis deux jours il pleut dehors, alors on passe notre temps à faire des siestes, couchés dans mon lit, et tes larmes laissent des traces sur ton oreiller.

Je me dis que dès qu’il fera beau on ira faire un tour au parc et qu’on reviendra pour le goûter avec des tâches d’herbes vertes sur nos pantalons, on pourrait même aller jusqu’à la plage et construire un château puis des digues pour le protéger de la marée : combat perdu d’avance mais on y croira quand-même.

Lundi matin : école, j’ai plus le choix, je me lève et j’affronte la réalité. Maman me dit de te laisser à la maison mais je désobéis en secret et tu viens quand-même, elle ne s’aperçoit de rien, on sait être discrets… Toute la journée je sais que tu es près de moi, je sais que tu vas pas bien mais je peux pas vivre sans toi, la vie serait trop triste.

Tu existes parce que j’existe et tu n’existes que pour moi.

Même si dès fois tu me rends triste je te laisserai jamais tomber, promis.


04
ETIENNE

Garry est dépressif

Evidemment il ne veut pas en parler. Il préfère disparaître quand on aborde le sujet. L'autre jour, j'ai tenté de le rattraper quand il s'est enfui par la fenêtre, en vain. Il m'a agacé. Maman déteste quand je touche à la fenêtre. Je n'aime pas décevoir maman. J'étais d'autant plus agacé. Ma tête cognait contre les murs. Le soir, il est quand même venu à table au diner. Il s'est installé dans ma main. Quelle arrogance. Moi qui avais passé l'aprés-midi la tête dans le mur par sa faute. J'ai eu envie de le tuer. J'ai pris mon couteau et je lui en ai mis trois bons coups. Evidemment, il avait encore disparu quand j'ai céssé mon attaque. L'atmosphère est alors devenue lourde dans le salon. Papa et Maman hurlaient. Ils m'ont emmené à l'hôpital. Surement pensaient-ils que Garry s 'était réfugié là-bas. La belle histoire. Je suis là depuis 3 jours et je ne le vois toujours pas.








ANNA THOMSON - 02 LES TEXTES:



2) "Les funérailles d'une prostituée (décédée de mort naturelle)."



01
SHLOMO DI METRO

Eulogy for a Ho

There was nothing for me inside of you.

Vous ouvriez la porte et j'étais déjà nu. Aucun récit, aucune intrigue. Rien à chercher, ni à construire. Seulement me frotter fort contre votre mucus. Contre un mucus quelconque, le votre en l'occurrence. Fixer mon attention sur un stimulus répété à l'envie, placer mon imagination sur une obsession, une fantaisie. Une image fixe qui naissait derrière mes paupières bien fermées. Là bas, derrière, il y avait le coeur lubrique d'une aînée ou l'expertise de la gourgandine qui mugit. Jamais il n'y avait rien de vous.

That's the only way i can reach the sky.

Vous étiez suffisamment blanche et neutre pour que je pratique mes exercices sur votre corps. Vous n'aviez pas d'identité, votre érotisme était réduit. Il n'était question que de mécanique des veinules. Je n'aspirais aucune éternité, j'étais tronc, vous étiez terreau. L'automne venait très tôt après ma floraison. Je ne semais pas mon jus, vous restiez biologiquement neutre et immaculée.

I hold every single picture inside of me.

J'excitais mon plaisir et mes synapses contre votre corps, sans jamais perdre de temps. Au crépuscule de mon petit jeu, vous n'étiez toujours rien et, désordonné, je cognais mon ventre contre votre écart bien ouvert pour moi. Je franchissais la porte avec un nouveau tableau, toujours unique et intime. Vous étiez la toile sur laquelle je traçais les seuls chefs d'œuvre que je m'autorisais.


02
EMPIRE

Sans titre

-Vous êtes bien sur le répondeur d'Antoine, je ne suis pas disponible pour le moment mais veuillez laisser un message avec vos coordonnées après le bip sonore, je vous rappelerai dès que possible, merci.

Bip!

Le bip sonore? Qu'est ce que je fous là? Il pleut. Cet enterrement est pire qu'un village dans le Jura.
C'était ça ou bien un couscous-cinéma avec Annie. Des films presque muets, le côté expressionniste en moins. Regards interminables, interjections confusiannistes, des trucs pour sourds-muets, aveugles et impuissants. On baise jamais en Korée? Annie dit que c'est dans la culture. Que les occidentaux, à tradition germano romaine - qui plus est - , sont évidemment beaucoup plus expansifs, ils extériorisent leurs sentiments ect. En ce qui concerne la culture anglo-saxonne, c'est encore différent, tu vois. L'austérité et le puritanisme du protestantisme cotoient et engendrent frustration et transgression. Mais les asiatiques, c'est un peu des stoïciens; ils croient à la fatalité eux, ils ne se battent pas contre leur destin ou bien cette bataille est toute intérieure, tu comprends? Alors évidemment, ça se ressent dans leur cinéma, elle dit Annie. Les films asiatiques, en général ça me fait terriblement chier mais j'ai vu un truc cool sur Arte la dernière fois. C'était the glamorous life of Sachiko Hanai, un truc un peu porno avec une histoire de réplique perverse du doigt de George W. Bush.
Son couscous n'est pas bon. Ce que je sais sur les occidentaux, c'est qu'ils ne mettent jamais assez de sauce, bordel! Ou bien y'a beaucoup trop de sauce et pas assez de viande et de légumes et c'est ultra fade.
Mais Annie, elle a beau sans cesse dire des lieux communs grotesques sur le cinéma et les guerres civiles et aussi mal cuisiner le couscous, c'est ma pote, tu vois Antoine. Et Toi...

-Vous êtes bien sur le répondeur d'Antoine, je ne suis pas disponible pour le moment mais veuillez laisser un message avec vos coordonnées après le bip sonore, je vous rappelerai dès que possible, merci.

Bip!

J'étais sûre que tu viendrais à l'enterrement de Gigi, c'était ta pute préfèrée, pourquoi t'es pas là? J'espère te voir au repas. J'ai rien apporté, j'ai vu des gens les mains pleines de tupperware les déposer dans une Kangoo et moi, j'ai rien apporté. J'ai pas de tupperware d'ailleurs. Le prends pas mal si je suis venue. Tu ne réponds plus à mes appels ni à mes mails, je sais pas quoi faire. Je suis désolée pour la dernière fois, je voulais pas t'assomer comme ça. J'suis juste un peu impulsive et y'avait ce dessous de plat dégueulasse que t'a offert ton fils... et tu sais que j'ai toujours détesté ce dessous de plat en terre cuite. Il ne pouvait pas te faire un collier de nouilles comme tout le monde, ton fils? Mais j'ai compris que tu tenais à ce dessous de plat parce que c'est sentimental et tout et que c'est utile. J'te jure que je t'en racheterai un, dessous de plat. Plus solide.
Ici, y'a du beau monde. Gigi était la pute préférée de pas mal de gens et elle avait pas mal de copines. On sort de l'Eglise là, et j'ai demandé aux filles genre putes si elles étaient des putes. "Vous êtes une prostituée madame?", "Oui, mademoiselle" ou "Oui, je l'ai été" ou "Non". Le prêtre a bien fait son travail, je trouve. Lorsque j'ai dit à une pute que c'était un prête moderne, elle a dit que c'était un client de Gigi et que Gigi aurait voulu être enterrée dans son village natal, mais que non, là-bas, ils ont refusé et que ses parents ont du se déplacer jusqu'ici.

Bip!

On me dit que c'est dur d'être prostituée. Qu'il y a de la concurrence, des filles plus jeunes et moins chères. Oui, évidemment, moi, je préfère acheter la machine à café avec le meilleur rapport qualité-prix et le libéralisme, ça s'applique à tout le monde. On m'a parlé d'internet, de trucs classieux, genre tu choisis tes clients et tu vas taffer dans des hôtels de luxe et t'es ultra bien payée. Mais c'est pas leur truc, elles sont mal adaptées les amies de Gigi, c'est la vieille école. Dans l'Express, j'ai lu qu'il y avait aussi des putes sur Second Life.
A l'Eglise, j'étais à côté de Lyn, je vais monter en voiture avec elle, c'est plus simple, elle m'a dit. Je vois pas pourquoi. Lyn, c'est encore une belle femme. Egorgée d'effluves capiteuses, fardée de blanc et d'expérience, bouclée des cheveux à la démarche. Elle a écorché l'air de l'église de sa voix roque. Elle m'a dit qu'elle avait travaillé sa voix pour ressembler à Fanny Ardant et elle estime que Fanny Ardant leur ressemble un peu, à toutes. Sauf aux blondes-léopard et gros lolos. Les blondes-léopard gros lolos, c'est un standart mais il paraît que ça ne marche plus. Les clients trouvent que ça fait vieille pute... Ya une copine à elle qui s'est appellé un temps Fanny Ardente, après elle a changé pour Paris. Gigi, il paraît, c'était une fille bien même si elle avait tendance à faire vulgaire. Ponctuelle, souriante, gracieuse et le coeur sur la main. J'aurais voulu la connaître. Qu'est ce qui te plaisait tant chez elle? Sa ponctualité? Tu sais qu'elle est morte d'une rupture d'anevrisme? Elle préparait des pâtes à la carbonara et là, rupture d'anévrisme.

Bip!

Je suis fatiguée de parler. Tu m'as souvent repproché de ne pas assez parler. Peut-être que si je parle beaucoup, maintenant, tu voudras bien me revoir. Mais là j'arrête, j'te rappelle quand on arrive au cimetière.

-Vous êtes bien sur le répondeur d'Antoine, je ne suis pas disponible pour le moment mais veuillez laisser un message avec vos coordonnées après le bip sonore, je vous rappelerai dès que possible, merci.

Bip!

Tu te rappelles de ce jour au terminus? Je t'ai dit: "J'aime bien les hommes faussement vulgaires comme je suis faussement intelligente et faussement belle, et jeune, et drôle". J'ai mis mes doigts sur le bus qui arrivait à tout allure, genre romantique chaotique, "C'est le 80", j'ai dit. Mes doigts ont glissé, pris la poussière et toute la ville. L'index, le majeur, l'annulaire. Et tu m'as fait: "tu fais ça tout le temps, mettre un bout de toi sur un truc dégueulasse". J'ai trouvé ça nul, presque poétique. Quand le bus s'est arreté, j'ai laissé mes doigts et tapé avec dessus. Ca t'a énervé, j't'ai dit "Il faut que je fasse quelque chose de ma vie, tu comprends? Il faut que j'aille à Marseille et que je fasse du golfe miniature". Et tu as demandé si je voulais faire du golfe miniature à Marseille, "Non, évidemment que non, à Majorque voyons!". "C'est sur". tu as voulu m'embrasser, je me suis laissée faire, puis j'ai fumé et le bus est parti. On est allé cherché un chausson aux pommes et je t'ai demandé comment tu t'appelais. "Tu sais très bien comment je m'appelle!" tu as dit très agacé, "Oui je sais maintenant, mais quand j'ai demandé, j'avais oublié, juste quelque secondes. Vraiment, sincérement je veux dire et ne soit pas vexé. Comment je m'appelle? Tu peux faire semblant d'avoir oublié mais pas plus de quelques secondes.". "Je sais parfaitement comment tu t'appelles, Marie!". Tu as toujours été un garçon très terre-à-terre. "Et bien je t'ai menti, je ne m'appelle pas Marie, je m'appelle Victoire. Ca fait deux semaines que tu te trompes et tu ne t'en ai même pas rendu compte. Je vais prendre mon 80". Tu m'as giflée et je suis montée dans le bus.
Lyn m'a raconté des anecdotes. C'est vrai que Gigi était une femme vulgaire. Elle parlait très grossièrement. C'est ce que tu aimais? Pourquoi ne m'as-tu pas dit ce jour-là que tu aimais les femmes vraiment vulgaires? Un jour, un client amoureux de Gigi lui a crié alors qu'il jouissait : "Gigi! Tu as du soleil dans les yeux, tu as du soleil dans les yeux, Gigi!" et elle a répondu "Et du sperme sur les fesses".

Bip!

Je te vois, pas toi. Je te vois et tu as l'air très triste. Je pensais pas que ton visage pouvait former ce rictus idiot. Tes lèvres, surtout, ont l'air idiotes. Tu as vraiment l'air idiot dans ton trois pièces noir à très très fines rayures. Lyn a déposé deux pierres tombales sur la tombe de Gigi. La première: "A mon amie". La seconde: "Une bite dans ma bouche, c'est une bite en moins sous les jupes d'une écolière". C'est Gigi qui disait toujours ça en riant, elle avait le coeur sur la main, c'est vrai.


03

ANONYME


Sans titre

Quand cela s’arrêtera t-il ? Quelles sont les limites de tout ça ? Quand devrais-je penser que tout devient trop réel, est trop dangereux ou me fait peur ?

J’ai soif. Soif de vivre, soif d’argent, soif de sexe. Depuis toujours. Je ne suis dépendante de rien, juste du plaisir, de mes partenaires multiples puis de l’oubli. Je tiens au changement. Je cache ainsi mon identité plus facilement, j’accepte les billets sans avoir le temps de leur en vouloir, et j’arrive à ne pas me lasser. Ainsi, je suis sans cesse surprise, condition sine qua non de ma survie. Si ma vie doit être courte et sans réel intérêt, je préfère la mordre à pleines dents, dès maintenant. Je tiens à en profiter, un peu, beaucoup et toujours plus … et si cela doit passer par un nombre incalculable d’orgasmes, je dis oui.

J’ai toujours été très sûre de moi, de mon corps et de l’effet que je pouvais provoquer aussi bien chez les hommes que chez les femmes. J’aime m’asseoir au bar des grands hôtels, pourvu que ça soit dans une ville où il fait beau et chaud. Je repère tout de suite ma proie, l’observe très discrètement avant d’agir.

Ce soir, elle est entrée furieuse, refusant de s’installer dans cette chambre qui n’était pas celle qu’elle avait demandé. Elle se plaignait auprès du directeur de l’hôtel et semblait ne pas vouloir faire de concessions. Son regard était dur, ses yeux marron observaient un joli contraste avec sa longue chevelure blonde. Sa courte robe noire laissait apparaître de longues jambes bronzées et une superbe poitrine. Elle a fait un geste pour montrer que cette situation la fatiguait déjà. Elle s’est assise, sans regarder personne, et a commandé un martini rouge. Son allure, ses lèvres et tout le reste étaient un appel au sexe, au plaisir et à la débauche. Je ne pouvais pas attendre une minute de plus, il fallait que j’agisse. Je me suis levée pour rejoindre le fauteuil qui était à côté du sien. Elle a à peine levé des yeux. J’imaginais tous ces hommes qui lui avaient proposé des verres, qui l’avaient séduite, bien avant moi. Elle a relevé les yeux, nous nous sommes regardées pendant une longue minute. Elle s’est alors levée, m’a demandé si j’avais une chambre avant de jeter des billets sur la table. Je suivais sa démarche sexy sans un mot, d’un air probablement ébahi. Un frisson a parcouru mon corps lorsque la clef a ouvert la porte de la chambre 315. Enfin, j’allais pouvoir goûter ses lèvres, fermer les yeux et m’abandonner à un plaisir certain.

Mes funérailles sont un résumé de ma vie. Une parenthèse sans suite et sans appel au secours. Un léger glissement vers l’ailleurs, rien d’autre.


04
ANONYME

Adieu

Pour l'occasion
Il a ressorti son costume noir
A vrai dire
Il ne lui va plus très bien
Et en réalité
Lui non plus ne va pas très bien

Aujourd'hui
Il dit adieu à sa putain de fille
Sa petite princesse des trottoirs
Plus habituée depuis des années
Aux réverbères
Qu'aux genoux de son père

Ca sent les remords et les regrets
Ca sent aussi
L'alcool
Car il a bu avant de venir
Mais il aurait aussi bu s'il avait fallu tondre la pelouse
Seulement et depuis longtemps
Il buvait beaucoup trop
Pour penser à tondre la pelouse

Aux alentours de dix-huit heures
La jeune femme
Verra ses cendres répandues
Sur une belle et verte pelouse
Bien tondue
On lancera sa poussière de prostituée
Parmi celles des cadres
Et des ouvriers
Des commerçants
Et des clients
Des bienfaiteurs
Et des médisants

La tête baissée
Dans son costume décidément
Mal cintré
Son coeur bat fort
Comme les cliquetis
Des talons hauts sur le pavé

Il songe
Il repense aux derniers moments

A son chevet
Ils se sont néanmoins
Et mutellement
Excusés

Il aurait voulu
Être capable
D'oublier le décès de la mère de son bébé
Et les conflits
Et les soucis
Qui en ont découlé
Et elle
D'écarter aussi facilement
La rancoeur et le mépris
Envers son papa
Que les cuisses

Il est déjà dix-huit heures cinq

Il dit donc
Et enfin
Adieu

Adieu à celle qui l'a fait pleurer
Quand elle est née
Et qui le fait pleurer
D'être morte née


05
ANONYME

Juillet

Il est neuf heures. Il fait chaud. Il fait trop chaud en fait. Ca fait trois semaines que ça dure. Rodolphe se réveille. De manière lasse. Il doit avoir une cinquantaine d’années. Il n’a pas vraiment de visage. Il a juste une tête de rustre. Il est un peu gros. Mais il a de l’argent. C’est un bourgeois. Sa femme, ses trois enfants sont en vacances à La Baule. Il les rejoint à la fin du mois. Il est seul. Tous les jours il se lève à la même heure, il fait les mêmes choses chez lui, il sort de chez lui. Il prend le train. Dès le matin il fait chaud. À la gare le train est à chaque fois bondé. Les gens, ils sont les mêmes, tous les matins, ils sont assis aux mêmes places dans le wagon. Et les gens sont collés. Et à chaque station, d’autres montent encore. Et cela ne sent pas encore mauvais. Mais les gens commencent doucement à transpirer. C’est parfois pour Rodolphe l’occasion de regarder les visages brillants des femmes, un peu plus jeunes que lui, un peu plus jolies que lui. Il regarde les mollets, les lèvres, le début des seins, les avant-bras, tout ce qu’il peut voir. Le soir quand il rentre chez lui, les mollets, les lèvres, les seins, les avant-bras, les peaux brillantes des femmes du train dansent dans sa tête. Il a alors une érection balbutiante. Puis franche. Il se masturbe. Dans la chaleur estivale. Dans son appartement dont il a ouvert les fenêtres. Mais quoi, les tapis, les livres, les rideaux, rien ne peut y faire. Même le ventilateur. Il fait trop chaud. Tout est réglé. Les mollets dans la tête. Il ne se masturbe pas dès avoir fermé la porte de chez lui. Mais il fait tout, tout, en sachant bien que les mollets vont venir dans sa tête. Il les laissera venir. Après son verre d’eau, ou de limonade. Après avoir appelé ses enfants, parcouru le journal. Il bandera, comme tous les jours quasiment à la même heure. Il se masturbe deux fois par jour ces temps-ci. Il en est frustré.
Un jour, l’année dernière, lors d’un même mois de Juillet, il avait pu coucher avec une de ces femmes du train. Deux femmes montaient tous les jours deux gares plus loin. L’une était jolie, avec l’air intelligente. Elle était intelligente oui, cela se voyait. Sa collègue n’était pas moche. Elle n’était pas belle non plus. Surtout, elle semblait extrêmement sotte. Il n’en voulait pas. Le soir, il ne se masturbait pas en pensant à la seconde, mais bien à la première. La sotte, elle aurait couché avec lui sans trop de problème ; la première, le snobait quelque peu, c’est pour ça qu’il la voulait. Il voulait s’élever, intellectuellement, en couchant avec l’intelligente. Tous ses livres, dans son salon, ils n’étaient que décoratifs. Il avait lié connaissance avec les deux femmes. Il en était honteux. Il ne faisait pour le moment rien de mal, mais il avait peur que quelqu’un dans le train le reconnût, ou bien qu’il eût une connaissance en commun avec l’un de ces deux femmes. Elles travaillaient aussi à La Défense.
- Je travaille chez Calyon, au 9. Dans quelle tour êtes-vous ?
- Dans la tour Axa.
- La fameuse tour Axa !
- Ahaha. Oui, la grande que l’on aperçoit dès la sortie du métro, celle qui supprime le soleil de toute l’esplanade.
Bref. L’intelligente était aussi sage. Cela avait irrité Rodolphe. En revanche, la sotte semblait plus libertine. Il avait fini par coucher avec celle-ci. C’était médiocre, il le savait. Mais il l’avait quand même fait. C’était un peu ça, sa vie.

Il avait raconté tout ça à Jeannie. Elle lui avait dit que ce n’était pas médiocre, que c’était humain, qu’être humain, simplement humain, personne ne pouvait en être à l’abri. Il lui racontait aussi ses journées d’été. Il lui racontait que le soir, plus tard, avant d’aller se coucher, avant de s’endormir, il se masturbait une seconde fois. Plus péniblement. Parfois même, il n’y arrivait pas. Cela l’énervait encore plus que d’y arriver. Il ne se passait rien. Il s’endormait en ne pensant à rien, à rien de vrai, à rien de grand. C’est le reproche qu’il se faisait lui-même. Il était vraiment trop bête. Il était misérable, se disait-il. Fréquenter Jeannie lui avait permis d’avoir une plus large ouverture d’esprit, mais en même temps ça l’avait constamment renvoyé à sa médiocrité. Jeannie lui disait que tout le monde ne pouvait pas tout le temps avoir des pensées profondes, que la légèreté avait du bon, elle aussi. Il acquiesçait d’un air triste, dans un sourire triste. Il se rendait compte qu’il n’atteindrait jamais rien, que tout lui échapperait. Il ne savait même pas ce qu’il loupait.
Il lui parlait de ce qu’il aimait. Il aimait Django Reinhardt. En écoutant Liszt il ne sentait pas grand-chose. Peut-être en écoutant Rêve d’Amour, au mieux. Mais… Georgia on my mind, de Django Reinhardt, oui, c’était peut-être la seule chose qui pouvait le faire pleurer. Il n’aimait pas se voir pleurer. C’est pour ça qu’il ne le faisait pas souvent. Mais parfois, et seulement l’été, seulement lorsqu’il était seul chez lui, femme et enfants partis, il mettait un vieil album qui contenait ce morceau, et écoutait directement, uniquement cette chanson. Il ne savait pas ce que pouvait être cette Georgia, qui elle pouvait être. Il n’avait appris à parler l’Anglais que par des stages organisés par son entreprise. Il ne connaissait que le vocabulaire précis des transactions financières de banque d’affaire à banque d’affaire. Il savait que mind voulait dire esprit. Il imaginait un homme épris d’une femme, nommée Georgia. Il se trompait sûrement, mais il n’avait pas besoin de plus. C’était tout ce qu’il n’avait pas réussi à réaliser, à vivre. Il n’avait pas même réussi à aimer une femme, follement. Les gens se plaignaient tous, ils aimaient une femme mais ce n’était pas réciproque. Mais lui… Comme il aurait aimé aimer une femme, pleurer tous les jours le fait qu’elle ne veuille pas de lui.
Il donnait de l’argent à Jeannie. Il ne la baisait plus. Avec le temps, ils ne parlaient plus beaucoup lorsqu’ils se voyaient ; peut-être parce qu’ils n’en avaient plus besoin. C’était juste bon d’être un peu avec elle, avec elle qui n’avait rien à voir avec sa vie. Pendant des mois, il s’était nourri de ces moments. Et puis, progressivement, il n’était plus allé voir Jeannie. Il en avait eu la flemme. Il s’en était éloigné. Mais aujourd’hui, Jeannie avait subitement resurgi dans sa vie. Une dernière fois.

Aujourd’hui c’est un peu différent. Vous voyez bien, il est un peu plus tard. À la gare il y a moins de monde. Rodolphe sourit cyniquement. Faut-il ça pour avoir moins de monde le matin dans le train ? Il se dit qu’il préfèrerait le trajet aux heures de pointe comme tous les autres matins, plutôt que se lever un peu plus tard à cause de ça. Il se dit qu’en fait non, si ça arrivait tous les jours il aurait plus de place dans le train le matin. Il serait alors de bonne humeur. Il se dit qu’il ne sait pas ce qu’il préfèrerait. De toute manière Rodolphe n’a pas à préférer quelque chose, il n’a rien à choisir. Il subit juste. Tout. Et comme tout le monde.
Il s’est habillé en noir. Forcément. De toute manière il s’habille toujours en sombre. Même comme là, en été. Même le vendredi. Il avait appris la mort de Jeannie par une de ses amies, une prostituée elle aussi. Les lambeaux de famille qu’avait encore Jeannie ne connaissaient pas l’existence de Rodolphe, jamais ils n’auraient pu lui faire part de la nouvelle. Jeannie était malade. Jeannie avait fini par mourir. Rodolphe n’était pas au courant pour la maladie. Ca ne le révoltait pas qu’elle eût pu lui cacher, ça l’agaçait juste, une légère démangeaison, une gêne égoïste. La nouvelle n’avait pas fait de vagues en lui. Sa douleur était lasse, lente, faible. Il essayait de ne pas réfléchir à ça. Il n’y aurait peut-être pas réfléchi de toute manière. Alors voilà il y avait un décès. Donc il y avait un enterrement. C’était étrange comme perspective. Il ne se voyait pas vraiment aux côtés des quelques proches ou connaissances de Jeannie, autour de sa dépouille. Mais soit, c’était l’été, il était seul, il s’ennuyait profondément. Il aurait pu se rendre à ces funérailles par amitié pour Jeannie, mais non. Il y allait finalement comme il serait allé au cinéma. Au musée. Il avait rencontré Jeannie dans la rue. Un soir, en rentrant d’un restaurant entre collègues de bureau. Il n’avait pas vraiment l’habitude de ces choses-là au début. Il avait hésité. Il avait pensé à ces enfants. Pas vraiment à sa femme. Il n’y pensait pas depuis longtemps. Il s’était arrêté. Il avait baisé Jeannie. Il était revenu. Il avait re-baisé Jeannie. Elle l’avait cerné rapidement. Oh, il était comme les autres. Et il ne changerait pas. Mais lui s’était enfoncé tellement loin dans la médiocrité de son quotidien, qu’il avait fini par développer sans le vouloir, sans le savoir, une capacité exploitable à regarder ailleurs, à écouter autre chose. Jeannie lui disait d’autres choses. Elle savait qu’elle pouvait le faire avec lui. C’est pour ça qu’il lui avait raconté sa misère, et c’est pour ça qu’en sélectionnant les informations, elle lui avait raconté la sienne.

C’est ici. Il descend. Il marche, sans vraiment penser. Il fait très chaud vraiment. Rodolphe regarde le ciel. Entièrement bleu. Uni. Nettoyé. Brûlant. Il se dit que le ciel, que le ciel est le même partout ; il se dit qu’il n’y a qu’un ciel, qui couvre tous les hommes, toutes les régions. Il se demande si là où est Jeannie, il y a le ciel aussi. Il se rend compte que Jeannie, aujourd’hui, n’est peut-être nulle part.
Il arrive. Des gens s’en vont. Il entre. Il n’y a personne. Il n’y a plus personne. Le monde est parti. Il a tout loupé. Il n’avait rien. Pas de fleurs, pas un bout de tissu qui appartenait à Jeannie, du temps où elle vivait. Ses mains sont libres, ça l’arrange, il n’aurait pas su quoi faire de fleurs, de tissu inutiles. Il a pris du retard, ou les funérailles étaient en fait plus tôt. Qu’importe. Rodolphe retire la veste de son costume, la porte pardessus son épaule. Il repart. Il va marcher un peu dans la ville. Il va reprendre le train, et finalement aller au travail. À la fin de la journée, il sortira dîner. Peut-être que ce soir, après son dîner, il ira voir une pute. Il ira se faire une pute.


06
ANONYME


Cimetière Montmartre

Cimetière Montmartre, les yeux de mines. Le soleil matinal picore son anatomie immobile et tendue dans l’étroitesse d’un caveau bas prix. Etourdie, inanimée, je rends ses honneurs souterrains. Vieille prostituée. Autopsie : mort naturelle, pas de guillotine, veloutine.

Cimetière Montmartre, souvenir d’enfance, souvenir de toile. Echine meurtrière des âmes sans domicile. Ville cachée, demeure de l’au-delà. Office sans adresse. Délice des profondeurs entre ciel et terre.

Cimetière Montmartre, odeur de pisse, odeur de pute. Le jour s’effeuille, le rouge s’effrite. Nudité morbide. Pornographe rouge-gorge au géant mélancolique. Clandestine, revête son sourire mousseline.


07
ANONYME

Sans titre

Une pute, tout le monde s'en fout. Une pute, ça va où après la mort ? Pourquoi ça aurait besoin d'une tombe une pute ? ça va pas au paradis une pute. Haha, une pute. Y a pas de cimetières pour les putes, les putes ça devrait crever tranquille et se putréfier tout seul, ça devrait pas emmerder le monde. Crève, salope. On devrait en voir traîner sur les trottoirs, de la pute en putréfaction, de la pute moisie, par kilos. Comment ça se fait que les putes sont pas toutes étalées en monceaux dégueulasses, dans les villes, dans les rues, dans les caves, dans les hôtels, dans les garages ? Comment ça se fait qu'on trouve pas des putes mortes partout, des cadavres de salopes ? Parce que y a des gens qui les enterrent. Ouais, y a des gens, quand une pute meure, qui l'enterrent. Ils l'enterrent pas dans un cimetière, y a pas de cimetières pour les putes. Ils l'enterrent n'importe où, dans un parc municipal, dans le jardin d'un couple de bourges, n'importe où, par effraction ils rentrent n'importe où et ils lui donnent une sépulture. Qui vous croyez que c'est, qui enterre les putes ? Leurs macs ? Haha. Leurs clients ? Pff, non plus. Qui enterre les putes ? D'autres putes.
C'est exactement comme ça que Sonia, une pute slovène de 29 ans, s'est retrouvée à 3h du matin à chercher où elle pourrait bien foutre le corps de Thérèse, la vieille pute avec qui elle vivait, qui venait de mourir. Quand Thérèse était arrivée en France elle s'appelait Teresa, et elle parlait que le portugais. Maintenant elle s'appelait plus rien, et elle parlait plus rien. Elle pesait 70 kilos, un gros paquet de pute morte, et Sonia se demandait où elle allait pouvoir enterrer son amie. Elle a fini par opter pour le premier parc qui lui est tombé sous la main. Elle a jeté son gros paquet de pute morte par terre, ça a réveillé un clodo qui dormait sur un banc pas loin. Il l'a aidé à creuser, ils ont creusé ensemble une jolie tombe, et ils l'ont balancée comme ça dans la fosse. Pas de cercueil pour les putes. A la merci des lombrics. De toute façon, c'est pas comme si elles avaient pas l'habitude d'être à la merci de la vermine, déjà de leur vivant. Ils ont rebouché le trou avec la terre, et ils sont repartis dans la nuit. Fini la pute. Qu'on n'en parle plus.


08
EVA LEONARD

Sans titre

Je suis celle qui piétine de long en large, qui ne dit jamais non,
qui demande à dire oui. On ne me regarde pas dans les yeux. Un nom
comme un matricule. Une machine à aimer. Je suis celle qu’on ne
regarde pas quand on soupire, celle dont les cris sont muets. On ne
me fait aucune excuse, l’idée même que je puisse souffrir n’effleure
pas les esprits. Je le sais. On passe et on s’en va. Même pas le
droit à un souvenir, ou alors pour la performance.. On ne pleure pas
les objets, on les met à la casse. Je suis le bonbon écoeurant, le
chewing-gum, le pansement. Utilisée, usée, jetée, c’est le jeu.
On ne chante pas sur d’inconfortables bancs en bois pour ça.
On ne me pleure pas. Vous auriez honte bande de salauds, honte
d’avouer. Avouer le bien, l’oreille attentive, le besoin, le
soulagement, le plaisir. Dis-lui que tu t’emmerdes couché à coté de
sa frigidité. Ose lui raconter que tu monnayes ta survie auprès des
sirènes des rues.

J’emporte avec moi tout vos secrets, vos frustrations, vos cris
étranglés, vos orgasmes salvateurs et honteux, vos fantasmes
immondes, vos pensées lubriques, vos soupirs étouffés, vos
défoulement nocturnes.

Une autre nuit pale, d’autres confidentes. Je ne suis même plus un
souvenir. Six pieds sous terre sans que personne n’ait jeté la
première poignée de terre.


09
ANONYME

Sans titre

Elle me regarde, je le sens. Son visage est tourné vers la porte, elle dépasse de son corps à lui, et elle me regarde. C'est effrayant, peut-être qu'elle a seulement besoin de respirer ou de voir ailleurs. Elle tourne la tête et regarde ailleurs. Ou elle veut juste respirer de l'air frais. Il doit faire chaud en dessous. On doit se sentir submergé en dessous. Elle est grosse, elle dépasse, elle existe autour: pas seulement son visage tourné vers la porte – en train de me regarder! – mais le reste, les muscles de ses bras, la peau de son dos, écrasée, retournée. Il est large et épais, j'aime son dos, les bosses affreuses de ses muscles, mais malgré cela, ses fesses à elle dépassent. C'est tout en dehors qu'elle est.

La journée je ne le vois pas souvent, il va à la boutique, je vais au bureau. Le soir quand je rentre il est déjà là, il regarde la télévision, il mange des céréales et il téléphone. Je range mes affaires et je vais dans la cuisine pour me faire à manger, des raviolis. La cuisine donne sur le salon, quand je fais chauffer l'eau pour mes pâtes, je le regarde sur le canapé. Je le détaille, je le débite, je regarde de loin chacun de ses trous, j'en imagine la texture et la chaleur, je le spécularise. Je me plonge dans le trou: de ses narines, de sa bouche, mais aussi du pli de ses aisselles et de son anus. Puis je joue avec les proportions, la géométrie, les échelles, j'agrandis, je rétrécis les trous, je les fais se rejoindre. Une fois dedans, j'imagine leur architecture, je leur donne un usage, une apparence, un confort; je les fais se tordre, se rejoindre, se multiplier. Son corps m'avale, alors je me l'approprie, il est à moi, je rentre dans son urètre, joue au grand huit et ressors par son oreille droite.

Plusieurs fois par semaine, il va aux putes. On n'en parle jamais, il rentre avec une pute, et on fait comme si c'était sa copine. Sa copine, les copines. Il ment sur son nom et instaure ensuite une parodie de quotidienneté. Il invente une domesticité, composée d'autant de putes que d'actrices, d'une multitude de corps condamnés à jouer le même rôle. Je vais doucement jusqu'à sa porte et regarde à travers la fente du côté de la charnière, je regarde le miroir de sa penderie et je vois tout. Je les vois tout. Il ne me voit pas, mais il sait que je regarde: on n'en parle jamais, je le regarde avec une pute et on fait comme si j'existais pas.

Il se met sur elle, il lui passe le bras entre les jambes, elle fait un bruit. Il lui dit de lui donner un surnom quand elle gémit. « Quel surnom tu veux? » elle lui demande. Il s'énerve un très court instant « je sais pas, ce que tu veux! ». Son plaisir c'est de pouvoir choisir, elle est l'actrice, il définit la scène; mais quand ce pouvoir devient trop évident, il ne le supporte plus. Alors elle lui donne un nom grotesque. Il aime ça, il la rend crétine, gaga: à chaque fois qu'elle l'appelle « mon lapin », il sourit de contentement et la presse un peu plus fort sous son torse. Et ça continue jusqu'à ce qu'elle regarde ailleurs, qu'elle tourne la tête (il fait chaud, là dessous?) et qu'elle me regarde. La porte s'est ouverte et je m'exhibe, debout en train de les regarder. Je cesse pourtant de voir aussitôt que je suis vu.

Enfermé dans ce qu'elle voit de moi, je veux me débattre: mais comment se débattre quand on est amputé?